QUINTETTE
Contes de pluie d’amour et de mort
Abbas Naalbandian
Traduction
Mariam Gassemi – Sadreddin Zahed
Cette traduction est dédiée à
Jean-jacques SCHFFER
Quintette
Contes de pluie d’amour et de mort
Premier mouvement
Il pleut noir, mort
Une pièce avec des objets simples qui dénotent une vie modeste. Une grosse radio très vieille. Une armoire en bois. Sur le sol un vieux tapis. A gauche, un matelas recouvert d’un édredon. Quelques oreillers. Sur la cheminée des objets hétéroclites. A droite, une porte. Une lampe allumée pend au plafond.
Sur le matelas, l’édredon semble cacher un corps. A droite, la mère et la fille sont debout, côte à côte. La fille a la mine défaite, les vêtements en désordre.
La fille : Il est mort ?
La mère : Oui.
La fille : Non.
La mère : (Ironique.) Si !
La fille : Mon dieu !
La mère : Regarde pas !
La fille : Non !
La mère : Crie pas !
La fille : J’ai peur. (Elle s’éloigne de sa mère.)
La mère : Calme-toi !
La fille : Il a les yeux ouverts.
La mère : Reste pas là !
La fille : Il est pas mort ! Ses yeux….
La mère : Tais-toi !
La fille : (Elle court.) Au secours !
La mère : (Elle court après sa fille.) Ta gueule !
La fille : (Elle se heurte au mur.) Qu’est-ce qui s’est passé ?
La mère : Me fais pas peur !
La fille : Il bouge pas, maman !
La mère : Il est mort !
La fille : Sa tête !
La mère : Tu me fous la trouille !
La fille : Appelons quelqu’un….
La mère : Tu veux faire un scandale ?
La fille : Pourquoi ?
La mère : On se demandera pas ce qu’il foutait dans notre lit ?
La fille : Hein ?
La mère : Ou si ça serait pas nous qui l’avons tué ?
La fille : Dans notre lit ?
La mère : Dans ton lit.
La fille : Oui.
La mère : Qu’est-ce qui s’est passé ?
La fille : Il couchait avec moi.
La mère : Et alors ? (La fille se met à pleurer.)
La mère : Alors ? (La fille pleure.)
La mère : Il avait fini ? (La fille pleure.)
La mère : Alors il est à poil. (La fille pleure.)
La mère : Faut qu’on lui mette son pantalon.
La fille : Peut-être qu’il est vivant.
La mère : Non.
La fille : Peut-être qu’il est tombé dans les pommes. Peut-être qu’il a eu une attaque.
La mère : Et alors ? Parle !
La fille : Il était sur moi. Tout d’un coup, il est tombé raide.
La mère : Faut faire gaffe ! (Pas de panique. Voyons voir.)
La fille : D’abord, j’ai pas compris.
La mère : Alors, qu’est-ce que t’as fait ?
La fille : J’ai eu peur.
La mère : Et t’as crié ?
La fille : J’ai eu peur. J’ai crié. T’es venue. Je l’ai repoussé. J’ai sauté du lit.
La mère : ça tape dans ma tête.
La fille : Faut appeler les flics.
La mère : Y a pas du bruit dehors ?
La fille : Si c’était les voisins qui se réveillent ?
La mère : Mettons-lui son pantalon !
La fille : Foutons le camp, maman !
(La fille se glisse sous l’édredon, auprès de l’homme. Elle tire l’édredon sur eux. La mère s’asseoit en tailleur par terre, face au public.)
La fille : Arrête !
L’homme : Laisse-moi voir !
La fille : Me serre pas tant !
L’homme : Ta gueule !
La fille : Oh c’que t’es lourd !
L’homme : Ouais.
La fille : Pourquoi t’as dit que je t’ai frappé la gueule avec une caillasse ?
L’homme : Quand ça ?
La fille : Salaud de menteur. (Pause) Pourquoi t’as menti ?
L’homme : Attends ! Attends !
La fille : Tu savais que c’était pas moi. (Pause) Quand est ce que tu vas me foutre la paix ?
L’homme : Pourquoi tu remets ça ? On s’était mis d’accord.
La fille : Tu me dégoûtes.
L’homme : ça fait rien !
La fille : Tire ta main !
L’homme : A chaque coup, tu me les gonfles !
La fille : Ah, si je pouvais te les gonfler vraiment !
L’homme : T’as pas honte !
La fille : Ca te va bien à toi de parler de honte ! (Pause) Grouille-toi, Bon Dieu, je peux plus respirer ! (Pause) Pourquoi tu bouges plus ?
(Soudain la fille hurle. Elle repousse l’homme. Hagarde, elle sort de sous l’édredon, et tremblante, se réfugie contre le mur. La mère se lève, va vers la radio, l’allume.)
Voix de la première femme : Attrape-lui l’autre pied ! Tire- le !
Voix de la deuxième femme : Et s’il reste coincé dans le puits ?
Voix de la première femme : C’est large, il ira jusqu’au fond.
Voix de la deuxième femme : J’ai peur que ça se sache.
Voix de la première femme : Quelqu’un sait qu’on l’a emmené ici ?
Voix de la deuxième femme : Et si quelqu’un venait ?
Voix de la première femme : Tiens-le ! Plus fort ! Jette-le !
(Bruit d’un corps qui tombe lourdement. La mère éteint la radio.)
La fille : Dis quelque chose !
La mère : Attends ! Laisse-moi me reprendre.
La fille : Je crois qu’il faut le dire.
La mère : Ben voyons !
La fille : Mais comme ça, c’est pire.
La mère : Hein ?
La fille : Il diront que c’est nous qui l’avons tué.
La mère : Et s’ils le savent pas ?
La fille : Hein ?
La mère : S’ils le savent pas ?
La fille : Ils le sauront.
La mère : Et s’il était jamais venu ?
La fille : Quoi ?
La mère : S’il était jamais venu ici ?
La fille : Tu veux dire qu’on l’emmène ailleurs ?
La mère : Pourquoi pas ?
La fille : Où ça ?
La mère : N’importe où.
La fille : On peut ?
La mère : On peut pas ?
La fille : Les flics vont nous arrêter.
La mère : Non.
La fille : Si ! Ils nous foutront en taule.
La mère : On va le balancer en douce dans l’égout.
La fille : Il est lourd. Très lourd.
La mère : Eh ben, à deux…
La fille : Moi, j’ai peur. J’y touche pas.
La mère : Si tu l’ouvres encore une fois, je te tue.
La fille : Je touche pas à un mort.
La mère : Pfff !
La fille : Je me sens pas bien.
La mère : (Fais un effort.) Accroche-toi !
La fille : J’peux pas.
(La mère se glisse sous l’édredon, auprès de l’homme. Elle tire l’édredon sur eux. La fille s’assoit en tailleur par terre, face au public.)
La mère : Fumier !
L’homme : Laisse-moi voir !
La mère : Crève !
L’homme : Ta gueule !
La mère : T’as fini ?
L’homme : Ouais.
La mère : T’as pas honte de me dire des saloperies pareilles devant tout le monde, pour si peu de fric ?
L’homme : Quand ça ?
La mère : Va voir là-bas si j’y suis ! Allez, pousse-toi !
L’homme : Attends ! Attends !
La mère : T’as pris de mauvaises habitudes, hein ? Tu rappliques ici tous les soirs.
L’homme : Pourquoi tu remets ça ? On s’était mis d’accord.
La mère : Ce mois-ci, je te payerai un peu plus tard.
L’homme : Ca fait rien.
La mère : Dis à l’épicier d’être gentil.
L’homme : A chaque coup, tu me les gonfles !
La mère : Ah, si je pouvais t’arracher ce truc entre les jambes et t’en bourrer la gueule !
L’homme : T’as pas honte !
La mère : Ca te va bien à toi de parler de honte ! (Pause) Grouille toi, Bon Dieu, je peux plus respirer ! (Pause) Pourquoi tu bouges plus ?
(Soudain la mère hurle. Elle repousse l’homme. Hagarde, elle sort de sous l’édredon, et tremblante, se réfugie contre le mur. La fille se lève, va vers la radio, l’allume.)
Voix du premier homme : Secoue tes habits ! T’as de la poussière.
Voix du deuxième homme : Je me sens mieux.
Voix du premier homme : Oublie pas qu’on s’est pas vus aujourd’hui.
Voix du deuxième homme : Ouais. Pourvu qu’y ait pas de pépin.
Voix du premier homme : Y’en aura pas. Faut seulement pas perdre les pédales.
Voix du deuxième homme : Je me sens mieux, moi.
(On entend un rire sonore. La fille éteint la radio.)
La mère : Faut qu’on lui mette son pantalon.
La fille : Fais-le toi-même.
La mère : Arrête tes conneries. On fait tout ensemble.
La fille : Faut appeler les flics.
La mère : Oui !
La fille : Crions à l’aide.
La mère : Ferme la porte !
La fille : Quelle porte ?
La mère : C’est quoi ce bruit ?
La fille : On dira la vérité.
La mère : C'est-à-dire ?
La fille : Qu’il venait ici.
La mère : Ils nous foutront en taule.
La fille : Non ?
La mère : Si.
La fille : Alors, on attend un peu…
La mère : Pourquoi faire ? (Pause) J’ai faim.
La fille : …Qu’il fasse plus sombre.
La mère : Plus sombre que ça ?
La fille : C’est qu’il est lourd.
La mère : Non, pas tellement.
La fille : Si.
La mère : Quoi ?
La fille : Si !
La mère : J’ai faim. Mangeons quelque chose.
La fille : Je me sens mal. J’étouffe.
La mère : Va chercher la nappe !
(Tout en parlant, mère et fille étendent la nappe et y disposent de la nourriture.)
La fille : Comment on va l’emmener ?
La mère : Où ça ?
La fille : Là où on doit l’emmener.
La mère : On va le balancer dans l’égout. (Pause) Dans le puits.
La fille : Comment on doit l’emmener ?
La mère : Ah ! On va le fourrer dans le sac !
La fille : Quel sac ?
La mère : Le grand.
La fille : Mais il est pas à nous.
La mère : Et le cadavre, il est à nous ?
La fille : Et pour traverser la cour ?
La mère : On le prendra sur le dos.
La fille : Et la porte ?
La mère : Quoi encore ?
La fille : Le pauvre, il avait même pas dîné.
La mère : Qu’est-ce que t’en sait ?
La fille : Peut-être.
(La nappe est servie. Mère et fille s’assoient autour et se mettent à manger calmement. La lumière diminue à tel point qu’on les distingue à peine. Alors, l’homme repousse l’édredon et se traîne lentement vers la nappe. La lumière disparaît peu à peu.)
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